Dieulafoy, Jane, La Perse la Chaldée et la Susiane

(Paris :  Hachette,  1887.)

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CHAPITRE  XXV

Visite de M^^ Fagregrine. — La morale s'accroît-elle en Perse en raison de la longueur des jupes? — Uépart de Chiraz.

Le lac salé. — Arrivée à Sarvistan.
 

Chiraz, 24 octobre. — Le solefl s'abaissait vers l'horizon, et j'étais béatement occupée
à suivre des yeux les mouvements des poissons mordorés qui se jouaient dans un bassin
creusé au-devant de la maison, quand la porte du jardin s'est ouverte à deux battants
devant une femme soigneusement voilée et montée sur un merveifleux âne blanc. La nou¬
velle venue était escortée de nombreux serviteurs, l'âne paré d'une housse de Kirmanie et
d'une sefle de velours bleu brodé d'argent. La favorite d'un mouchteïd ne voyagerait pas en
si pompeux équipage.

Allah très grand ! comment une fidèle chiite ose-t-efle s'aventurer dans cet antre de
chrétiens ? c'est à n'en pas croire mes yeux ! L'élégante khanoum saute vivement à terre;
se dirige vers moi et me tend gentiment la main : «Bonsoir, Madame », me dit-elle. Mon
étonnement est au comble : jamais depuis mon arrivée en Perse je n'ai entendu sortir un
mot de français ou d'anglais des lèvres d'une femme iranienne : « Je suis M"^' Fagregrine,
reprend la visiteuse en levant son voile, j'ai très vivement regretté d'être absente de Chiraz
quand vous êtes venue m'apporter la lettre du consul de Tauris, M. Bernay; dès mon
retour de la campagne j'ai tenu à venir vous dire moi-même tout le plaisir que j'éprouvais
à voir des compatriotes. »

Mon interlocutrice est une preuve en tchader et roubandi de la difficulté qu'éprouvent
les individus ou les famflles privés de toute communication avec la mère patrie à résister
longtemps aux influences des miheux ambiants. Son père, un Français, vint s'étabhr en
Perse  fl y a une cinquantaine d'années  et   se  maria,   peu   après   son arrivée,   avec une
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