Dieulafoy, Jane, La Perse la Chaldée et la Susiane

(Paris :  Hachette,  1887.)

Tools


 

Jump to page:

Table of Contents

  Page [597]  



ClME'l 1ERE   A   BAGDAD.
 

CHAPITRE   XXXIV

Visite aux cimetières de la rive gauche. — Tombeau de Josué. —- La colonie juive de Bagdad. — Le tombeau de la
sultane Zobeïde. — Incendie dans le bazar. — Le Khan Orthma. — Le minaret de Souk el-Gazel. — Les bazars et
les marchands de Bagdad.
 

19 décembre. — J'ai passé la journée à parcourir les cimetières et les tombeaux de la rive
gauche situés sur le sol abandonné de la vieifle Ragdad. Une ville morte habitée par des ca¬
davres n'a rien en soi de bien attrayant. En Europe peut-être, mais sous le ciel de la Chaldée
les figurants de la danse macabre revêtiraient eux-mêmes un aspect enchanteur. Quel magi¬
cien que le solefl, et comme je comprends le culte des vieux peuples de l'Orient pour ce dieu
de la vie et de la lumière !

Les champs de repos en ce pays ont un caractère moins lugubre encore qu'à Stamboul ou
à Scutari. Nulle barrière morale ou matérielle ne s'interpose entre les morts et les vivants;
les ombres n'effrayent personne.

Le plus grand de tous ces cimetières s'étend autour de la mosquée funéraire du frère
de Haroun al-Rachid. La chapelle est précédée d'une superbe aflée de palmiers. Leurs verts
panaches sont le rendez-vous de chanteurs emplumés, qui nous régalent de leurs gazouille¬
ments, tout en volant de branche en branche jusque sur les fils d'un télégraphe chargé de
porter la pensée bien loin de ce ciel enchanteur. Les tombes, plates'ou bombées, suivant le
sexe de l'habitant, sont toutes recouvertes d'une construction exécutée en matériaux des plus
grossiers et maçonnés avec du mortier de terre.

Pendant que j'examinais la tour d'Akerkouf, dont la grande masse se dessine en gris
bleuté sur le fond uniformément jaune de la plaine, et que j'invectivais à bonne distance les
minarets d'or de Kâzhemeine, de lugubres lamentations sont arrivées jusqu'à moi : un convoi
s'avançait à pas précipités. Le cadavre est porté sur une civière et recouvert d'un cachemire
surmonté, du côté de la tête, d'une sorte de couronne. Allah a rappelé à lui une des houris
promises à ses élus. Le cortège s'arrête auprès d'une fosse fraîchement creusée; je veux me
rapprocher afin d'assister aux cérémonies : peine perdue, le cawas accourt et me donne une
  Page [597]