Brézol, Georges. Les Turcs ont passé là

(Paris :  Brézol,  1911.)

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40                         LES   TURCS  ONT  PASSE  LA...

— Alors l'abbé fait parler la plus bavarde de ces
femmes, elle nous raconte ainsi le terrible événe¬
ment.

« Nous sommes parties nuitamment de notre vil¬
lage, pour nous sauver à travers les champs de blé
en rampant, et entrer dans Adana... Les assassins
étaient à l'œuvre partout... Si l'on nous avait entendues,
ils seraient venus nous égorger de suite... comment
faire entendre raison aux enfants...? Ils pleurnichaient,
ils criaient dans nos bras... il a été impossible d'agir
autrement... 11 fallait les sacrifier ou bien mourir tous
ensemble... Nous longions le Djihoune... et dans un
moment de frayeur et de terreur nous avons jeté les
petits dans le fleuve et nous avons pu sauver notre
vie...

J'écoute tout effrayé et pétrifié l'horrible his¬
toire que cette pauvre hère balbutie machinalement
peut-être pour la centième fois... et je me soulève
pour crier avec indignation :

(( Femme! qu'est-ce que vous dites, est-ce qu'une
mère peut commettre une telle monstruosité ? »

La femme se tourne de mon côté et à travers la
lumière blafarde de notre pâle lanterne, elle me
répond simplement :

« Ne dites pas cela Monsieur... la vie est très douce
à un moment pareil... Vous ne le savez pas... Ne
jugez pas ainsi. »
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