Dieulafoy, Jane, La Perse la Chaldée et la Susiane

(Paris :  Hachette,  1887.)

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TOMBEAU    d'ES DR AS.    (VoyCZ   p.   552.)
 

CHAPITRE   XXXI
 

La navigation sur le Tigre. — Nos compagnons de route. — L'arbre de la science du bien et du mal. — Tombeau du
prophète Esdras. — Bois saci'é. — Échouage du Mossoul. — Tribus arabes. — Arrivée à Ctésiphon. — Le palais des
rois sassanides. — Séleticie. — Sa ruine, — Son état actuel. — La nuit sur les bords du Tigre. — Retour à bord
du Mossoul.
 

8 décembre. — Dès que nous avons été capables de mettre un pied devant l'autre, nous
avons fui avec empressement l'atmosphère empestée et le ciel humide de Rassorah. Deux
services de paquebots mettent cette ville en relation avec Ragdad. L'un a été créé par la
compagnie Linch de Londres et fonctionne avec régularité toutes les semaines. Ses bateaux,
médiocrement aménagés, sont tenus avec autant de propreté que le comportent les mœurs
des voyageurs, tous habitués à faire leur cuisine sur le pont. L'autre est entre les mains de
l'administration ottomane et fait deux trajets par mois. C'est sur un bateau turc, le Mossoid.^
partant ce matin avec une semaine de retard, que nous nous sommes hâtés de prendre place.

Tout ici paraît marcher à la diable... ou à la turque.

État-major et équipage, payés d'une façon intermittente, sont obligés, faute d'appointe¬
ments réguliers, d'avoir recours à des expédients fort désagréables, dont le public est le
premier à souffrir. Le pont des premières est encombré de cages pleines de poules que les
matelots ont achetées à Rassorah et qu'ils revendront à Ragdad avec deux ou trois sous de
bénéfice par volaille. Les officiers, dont l'ambition est plus haute, sont bien obligés de tolérer
que la basse-cour de l'équipage envahisse le pont quand eux-mêmes garnissent la cale de
leurs colis.

Nous avons pour compagnons de route un Corse, le capitaine Dominici, qui a longtemps
commandé le Mossoul et s'est retiré à Ragdad après avoir été privé de ses fonctions. Il n'a pas
été nécessaire de faire longtemps route avec ce brave marin pour connaître tous les détails
de sa mésaventure.

Il y a un an à peine, l'administration turque se mit en tête de payer ses fournisseurs de
la même monnaie que ses fonctionnaires. Un de ceux-ci, irrité d'être renvoyé aux calendes
grecques, perdit patience et déclara qu'il n'enverrait plus un sac de charbon si son compte
n'était intégralement soldé. Le Mossoul attendait son combustible, quand le capitaine reçut
l'ordre de lever l'ancre sur-le-champ.
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