Brézol, Georges. Les Turcs ont passé là

(Paris :  Brézol,  1911.)

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plète ; par dessus le marché la faim venait s'ajouter à
mes souffrances atroces. Je ne savais pas combien de
temps durerait cet état.

Après une longue et pénible résistance, je compris
qu'il m'était impossible de me cacher davantage ; je
décidai de sortir de ma cachette et de prier les
voyageurs passant par là de m'achever car je tom¬
bais d'inanition.

Je sortis donc, je n'avais pas encore fait beaucoup
de chemin que j'étais arrivé derechef à Golgotha où
'avais laissé dans la nuit les cadavres de mes compa¬
gnons de route.

Il était midi, délivré un moment de la peur du sabre,
je contemplais tristement sous la lumière éclatante
du soleil, les restes de mes malheureux camarades,
mes co-villageois avec lesquels j'avais même des
liens de parenté. J'ai vu Yeguen Agop la tête tran¬
chée et le corps mutilé, d'un autre côté Assadour
coupé et ensanglanté. 11 m'était impossible de rester
devant cette scène dégoûtante, surtout dans l'état
d'âme où je me trouvais, défaillant, affamé et nu, et
de regarder les cadavres des agneaux innocents
égorgés parles mains des hommes-loups,..

Je perdis connaissance et tombai ; je ne sais pas
combien de temps cela a duré, je suis revenu à moi
et je me suis donné du courage, en appelant à mon
aide le Saint-Esprit.

La route était proche de cet endroit, j'ai commencé
à marcher. Un vieux turc allait sur la route d'Aïntab,
je m'approchai de lui et je le priai de me tuer et de
me débarrasser de cette terre. Il n'a pas condescendu
à mon désir; je l'ai prié de me donner du pain, il
n'en avait pas.
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